Sagnir





Mon arrivée aux Îles Féroé se fit pour la première fois en juin 2021. Lorsque mes pieds ont foulé le sol verdoyant de ces terres situées entre l’Islande et la Norvège, le haut des montagnes était englouti par moitié d’un brouillard épais et la pluie ne cessait de s’abattre. J’ai tout de suite ressenti l’atmosphère mystique de ce pays.
Chaque roche à la forme singulière laisse imaginer les Huldufólk, le peuple caché, virevolter entre les averses. Les routes sinueuses vous bercent, les puits de lumière ont un air de divin. Aux abords des falaises vertigineuses, on y retrouve d’innombrables créatures des mers, témoignages lugubres sans doute dû à la force des marées et des tempêtes. Je fus frappée par l’omniprésence des contes, très liés à la nature à laquelle était soumis ce peuple isolé au fil des siècles. C’est au détour d’un magasin de seconde main à Runavík sur l’île d’Eysturoy, que je rencontre Anna Maria Olsen. Son visage tacheté de grains de beauté enveloppait des yeux couleur océan, contrastant avec le noir abyssal de ses cheveux.
Curieuse, comme beaucoup des habitants de cet archipel de 18 îles, nous en venons à discuter de mon idée de projet photographique en cocréation avec des enfants sur les mythes et légendes locales, et de mon désir d’apprécier l’impact de ces histoires sur les enfants féroïens. Le hasard fit qu’elle soit maîtresse dans une école primaire du village voisin de Toftir. Spontanément et très rapidement, j’ai été amenée à me rendre à l’école tous les mardis pour la lecture des contes avec une classe de cm2 et ce durant une année. Tout au long de celle-ci, les enfants ont pu découvrir et redécouvrir les histoires de leurs îles. Avec peu de représentations visuelles existantes, ils ont imaginé, dessiné et incarné ces personnages d’histoires anciennes.
Par la suite nous avons créé les costumes à la machine à coudre pour chacun des élèves qui ont posé dans les lieux précis de ces légendes, immortalisés à la chambre photographique 4x5. Bien qu’ils soient fondés sur des faits réels, imaginaires ou des croyances, les mythes et légendes propagent des valeurs, transcendent les peurs et subliment les espoirs d’un peuple. Ils sont souvent marqués par le vécu d’un territoire, mais au fil des siècles, le conte a perdu de l’importance au sein de la société.
La fille de l'air




La Fille de l’Air est une plongée intime, une traversée incertaine de l’enfance. Portée par des vents contraires, j’ai grandi au creux d’une tempête : un beau-père névrosé, des liens brisés, une fuite précipitée vers un père presque étranger.
Ces souvenirs, je les effleure à travers des images où le tangible cède la place au symbole. Les rêves et les peurs se mêlent, comme un ciel changeant qui vascille. Ces images, tissées de fragments, sont le miroir de mon inconscient : des détails fugaces, des ombres qui s’étirent, qui flottent et se heurtent parfois comme le vent contre une vitre close.
La jeune fille que j’étais dansait au bord du vide, légère mais jamais libre. Aujourd’hui, je souffle sur ces cendres pour y rallumer une lumière. La Fille de l’Air est ce murmure, une quête silencieuse, un poème dédié à l’élan vital qui m’a portée plus loin que la tempête.
La dame verte



Née des récits oraux du XIVᵉ siècle et mise par écrit en 1981 par Jean Le Mauve, la Dame Verte hante encore les paysages de Picardie où j’ai grandi. Elle incarne la nature dans toute sa force et sa vulnérabilité, récompensant ou punissant selon la justesse des actes.
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Dans ce travail, elle reprend vie. J’ai voulu la suivre dans ses métamorphoses — naître, s’épanouir, disparaître — comme un écho au cycle des saisons et à notre lien fragile avec le vivant. Entre légende et réalité, ses ombres continuent de glisser sur la terre qui m’a vue naître.
